Le poids des mots. Le choc des dessins !

À la (grande) école du goût

Juste après la galette des rois mais juste avant la kermesse de l’école, la semaine du goût est l’événement le plus attendu de l’année par les élèves du cour préparatoire de la rue Blomet. Tous les enfants n’ayant pas la chance d’avoir des parents Amapiens certifiés BGP; dans sa grande mansuétude mais surtout animée par l’ambition d’une éducation alimentaire aussi saine que populaire, notre AMAP a fait don de deux parts de récolte pour soutenir un atelier pédagogique et gustatif des CP.

La semaine du goût est célébrée par un atelier déployé en deux temps, trois mouvements. D’abord une phase dédiée à l’approche du légume et à sa familiarisation puis, le meilleur étant évidemment gardé pour la fin, la phase d’appropriation et de dégustation. La première prise de contact avec le légume est donc visuelle, l’objectif étant sa compréhension formelle et volumique, puis sa compréhension dans sa dimension chromatique et enfin sa compréhension dans sa physi-qualité texturielle et olfactive. Renifler un légume peut en dire long quant à sa fraîcheur, son origine et avant toute chose son nom. Une fois que les élèves sont en osmose totale avec les végétaux, ils peuvent alors opérer leur retranscription picturale. Soucieux de partager leur connaissance et heureux de propager leur savoir, ils confectionnent une fiche mnémotechnique à l’usage de leurs parents.

Plus fonctionnel que le porte clé en macramé réalisé pour la fête des pères et bien plus élégant que le collier de nouilles de la fête des mères, cette fiche mnémotechnique pourrait s’avérer un outil extrêmement pratique dans la reconnaissance des légumes – bien souvent mélangés sur l’étale du primeur. Grâce à ce dépliant illustré par la main habile des enfants, les parents éviteront dorénavant toute confusion entre carotte et navet, entre poivron et radis ou encore (plus délicat) entre persil et salade.

Notons sur ces planches dessinées, toute la subtilité des rendus coloriels et la précision scientifique qui n’est pas sans rappeler l’avant garde botanique des naturalistes du XVe siècle – à ne pas confondre avec ceux du XVe arrondissement. Identifier à la sortie de leur cagette un légume, c’est une chose mais pouvoir le nommer une fois coupé, c’est un tout autre challenge.

Après le dessin mais avant la dégustation, les élèves ont bien du mal à contenir leur impatience car il faut encore procéder au lavage des légumes, à leur découpe et à leur distribution. Chaque enfant se voit alors confier quelques morceaux de salade, de carotte, tomate, persil…. qu’il dispose sur une mini nappe en papier improvisée à même la table.

À l’instar de l’étonnante diversité dont fait montre la nature dans ses ressources en légumes, les élèves témoignent de la même richesse de variété dans l’expression organisationnelle et esthétique de leur mini nappe. Impossible d’échapper à cette mise en beauté car le plaisir gastronomique est bien indissociable de l’art de la composition intrinsèque de l’assiette. C’est bien connu, on déguste d’abord un mets avec les yeux !

Plusieurs courants décoratifs s’affrontent notoirement : l’école arcimboldesque s’opposant frontalement à l’approche pointilliste néo-impressionniste, elle même en rivalité avec la logique déconstructiviste qui boude volontiers tous les préceptes perspectivistes et cependant garants d’une spontanéité intemporelle absolue.

Enfin, la dégustation ! Autant dire le climax de la semaine. Un moment d’exception qui survient comme une libération après tant de préliminaires. Les statistiques sont éloquentes : pas moins de 43 « chuuuut ! » sont prononcés par la maitresse pour contenir l’agitation, l’enthousiasme et l’exaltation des enfants durant les minutes précédant la dégustation proprement dite… contre zéro après. 19 élèves aiment à présent le radis, 21 aiment le poivron et seulement 5 avouent manger du persil à la maison.

Les commentaires vont bon train. Louise déclare que la salade est exquise, Nathan confirme en ajoutant qu’elle est fraîche. Selon Clarisse, le basilic ça fait du parfum dans la bouche. Pour Élias, le poivron est bon. Raphaël confesse n’avoir jamais mangé de vraie carotte jusqu’à ce jour, quant à Emma et Arthur, ils ouvrent officiellement le débat sur le vert-vert du persil bien plus très vert que le quand même vert mais moins très vert du basilic… la preuve en est faite, on peut tout à fait discuter de goût et de couleur.

Le Collectif d’Organisation
Blomet Grands Prés