Ce samedi 29 septembre, nous avons eu l’immense joie d’une visite surprise durant notre atelier à la ferme. Une personnalité tout à fait inattendue au milieu des potimarons, buternuts, patissons et autres courges, encore que… Nous avons profité de l’occasion pour une interview improvisée.
BGP : Héroïne d’un conte éponyme au combien célèbre, vous êtes depuis des siècles et des siècles – on retrouve traces d’inspiration de votre histoire jusqu’à l’époque des pharaons – vous êtes donc depuis des siècles et des siècles l’égérie de milliers de petites filles à travers le monde et, très logiquement, la première question qui me vient naturellement à l’esprit : Cendrillon qu’est-ce qui vous amène parmi nous, à l’atelier pédagogique dédié à la récolte des courges de notre amap ?
C : Qu’est-ce que je fous là ? Bah, j’crois que la réponse elle est carrément dans la question ! Les citrouilles c’est quand même un des trucs que je kiffe grave le plus. Vous savez, maintenant que je bosse dans une méga multinationale de ouf qui ne plaisante pas avec le business et la rentabilité, c’est pas évident de se libérer un samedi pour venir ramasser des courges à Boutigny. En plus le samedi, j’ai une journée hyper chargée : y a plein de gamines qui viennent exprès pour me voir, je fais deux parades défilées, plus des apparitions sur les manèges, plus les animations express aux stades friandises, plus les séances de selfies et dédicaces photos… et je remets ça le dimanche ! Autant vous dire que je suis overbookée de chez overbookée ! Hier soir j’ai fait un extra pour un enterrement de vie de jeune fille, j’ai taffé toute la night… total : j’ai même pas eu le temps de passer des fringues de jardinage. J’ai dû poser ma demi-journée de RTT presqu’un an à l’avance et j’ai dû aussi négocier avec Blanche Neige pour qu’elle me remplace le temps de l’atelier. Dans l’euphorie du moment et l’hystérie générale, j’suis sûre que les mioches n’y verront que dalle.
BGP : Quel agenda ! Quelle vie trépidante ! Mais justement, Cendrillon, quand on est une femme débordée comme vous l’êtes, comment fait-on pour garder le visage de l’éternelle jeunesse ?
C : Ben, j’vais pas vous baratiner en vous disant que si j’ai pas une ride c’est parce que je mange que des légumes bio. La vérité c’est que j’suis une vedette et que j’ai la chance d’avoir derrière moi toute une équipe de gars qui me retouchent la tronche en temps réel sur photoshop.
BGP : Vous évoquiez vos multiples passions, j’imagine que vous faites allusion à votre engouement pour le ménage ou votre enthousiasme pour la danse de bal ?
C : Ah l’autre, le ménage et le bal ! Mais vous tapez en plein dans les clichés has been. Alors question ménage, depuis que je suis une star j’peux vous dire que je ne touche plus à un aspirateur. Maintenant que j’suis pétée de thune, je paie quelqu’un pour pour faire le job. En plus j’habite une sacrément grosse baraque moi, si je commence le ménage du château le lundi matin, je finis tout juste le lundi soir… mais du mois suivant. Et pour être tout à fait sincère, j’suis une nana plutôt moderne : une nana d’aujourd’hui qui revendique, comme les mecs de toujours, le droit de laisser trainer sa vaisselle dans l’évier et ses chaussettes en boule au pied du lit. Et pour le bal, je suis désolée de casser un mythe mais plus personne n’y va pour draguer. Maintenant pour pécho, faut aller sur internet, alors ok c’est moins romantique mais c’est vachement plus efficace.
BGP : Vous parlez de lenteur courtisane, je suppose que vous faites référence au fameux épisode d’essayage de la pantoufle de verre. Symbole de pureté, d’élégance absolue; une façon subliminale de souligner l’expression “trouver chaussure à son pied” comme métaphore de l’âme sœur, de l’amour idéal… encore du bon vieux cliché allez-vous me dire ?
C : Pouf ! Rien à voir ! J’suis d’accord avec vous pour le côté bien nase du symbole mais là, vous avez atomisé le cliché pour faire dans la totale inculture. En fait, à l’époque, pantoufles c’est comme ça qu’on appelait des shoes un peu class – rien à voir avec des charentaises en piloupilou, le truc horrible pas du tout fashion – et en plus, les shoes n’étaient pas en verre mais en vair : une sorte d’espèce de fourrure. Avec le temps, les mecs qui faisaient les transcriptions ont switché du vair au verre. Peut être une histoire de sonorité et de symbolique mais c’est surtout parce que des groles doublées en peau de fesses d’écureuil sauvage, c’est pas vraiment glamour.
BGP : Puisque nous en sommes à parler symbolique, quel point de vue portez-vous sur l’aspect moraliste ou psychologique, voire psychanalytique de votre conte ?
C : Ah mais ma parole, tout de suite les grands mots prise de tête, toujours le même refrain ! On commence par de l’œdipe refoulé, on se lâche un peu sur la condition de la ménagère de moins de cinquante cinq ans en essayant de valoriser son côté soumise pour finalement la sublimer dans l’archétype de l’allumeuse… Le carrosse qui se transforme à minuit parce que la gonzesse est une souillon, vous, vous y voyez une punition de la chaudasse, mois j’y vois une pure innovation bio-technologique ! Hé wouai ! Pouvoir changer sa bagnole en légume c’est quand même top pratique pour se garer. Sérieusement, vous imaginez un peu toute la place qu’on pourrait gagner à Paris si on voulait bien se donner la peine de pousser le concept ?
BGP : Je vois, je vois… en somme, vous n’êtes pas la femme édulcorée que votre image laisse…
C : Franchement ! C’est carrément ça, j’suis victime de mon image. Une image parfaite et bien comme il faut. Tenez par exemple, un atelier courges c’est salissant, normalement on a de grandes chances d’en sortir toute dégueux : il faut bien essuyer les courges, les débarrasser de la rosée du matin pour ne pas qu’elles pourrissent au stockage et avec la terre ça peut virer à la bouillasse… Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas eu le temps de me changer, j’ai astiqué de la courge boueuse toute la matinée direct avec ma robe, et ben regardez-moi, je suis toujours impeccable !
GBP : Hum, difficile de se construire une identité en totale ressemblance et harmonie avec son être intérieur lorsqu’on vit en permanence sous le joug des conventions et le dictat de photoshop.
C : Ah, wouai, grave ! Mais bon, je ne lâche pas l’affaire; j’suis pas comme cette pouf de Barbie qui est scotchée sur la couleur rose; moi j’assume le bleu !
BGP : Si vous me permettez l’expression : un petit pas pour la femme, un grand pas pour l’humanité ! […] Cendrillon, notre interview touche à sa fin, je tiens à vous remercier très chaleureusement au nom de tous nos amis amapiens et amapiennes, d’avoir partagé avec nous un peu de votre temps libre et beaucoup de cette facette méconnue de votre personnage. Au plaisir de vous revoir à un prochain atelier, à la cueillette des pommes peut être ?
C : Ça me ferait trop plaisir mais ça va être chaud question RTT et j’ai promis à Blanche Neige – elle adore trop ça les pommes – que je la remplacerai pour qu’elle puisse elle aussi s’éclater à un atelier. Et en vérité, quitte à revenir à la ferme, je préfère que ce soit à un atelier où on peut faire un tour de tracteur !
Le Bureau
Blomet Grands Prés